Rencontre avec François de Ligneris - 23 nov 2015
- vendangeursdevues
- 23 nov. 2015
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Directeur du restaurant l’Envers du Décor dans le bourg de Saint-Emilion
> François Des Ligneris : de viticulteur à restaurateur
François est né à Saint Emilion où il a grandi au sein du château Soutard qui appartenait à sa famille depuis plus de 200 ans. Il s'intéresse très tôt à la pratique de l'œnologie et de la viticulture tout en conciliant le respect de l’environnement et la biodiversité de ce qui l’entoure. Il s’impose comme fervent défenseur contre l’utilisation de produits chimiques et le respect des sols et s’inquiète que ces éléments-là ne soient pas encore assez pris en compte. Il ouvre en 1987 son restaurant l’Envers du Décor. En, 2006, il assiste à la vente de son domaine natal de Sutar par la Mondiale. Le restaurateur participe de près à l’inscription de la juridiction au patrimoine mondial de l’UNESCO. Dès lors, il ne cesse de se battre contre le laxisme des acteurs vis à vis du paysage et de la biodiversité et s’insurge contre l’absence de prise de conscience face aux risques qui pèsent sur le patrimoine paysager.
> D’où vient le nom “Envers du Décor”?
Selon François le monde viticole est une gigantesque scène de théâtre ou la plupart des viticulteurs ne sont que des acteurs vantant les bienfaits du terroir et le lien étroit qu’ils entretiennent avec lui. Mais pour certains, ce discours n’est que factice et s’adresse à un public d’acheteurs. Le terme d’hypocrisie revient alors dans le discours de François. Un monde hypocrite ou personne ne se parle franchement et ou la loi du buisness et du profit l’emporte sur celles du bien commun, du paysage et de l’environnement. Le restaurant est alors un refuge, que François a construit visiblement fatigué de se battre contre cette façade et soucieux d’être honnête avec ses clients. Le restaurant est ouvert 7 jours sur 7 toute l’année ce qui est rare. François refuse ainsi de cautionner cette économie à deux vitesses que subit le village depuis des années. La création de son restaurant, a surtout permis à François de prendre du recul par rapport à la situation et d’essayer de prendre les choses moins à cœur. Pour résumer l’état d’esprit dans lequel il se trouve le restaurateur nous site d’ailleurs cette phrase écrite par Léon Paul Fargue :
“C'est l'écolier chassé Qui pleure dans les blés Car l'oiseau qu'il désire Ne veut pas se poser”
> Retour critique sur l’inscription : “On ne mérite pas le label”
François avait espoir que l’inscription servirait de base pour élaborer une stratégie en plusieurs étapes visant à mettre les valeurs du territoire ainsi que les productions qui lui sont associées en misant sur la qualité environnemental des produits. En tant que membre de commission, il rédigea lui-même un planning en plusieurs étapes dont le but serait la disparition pur et simple de l’utilisation de produit phytosanitaire dans la viticulture. Mais ce ne fut pas le cas. Selon lui, l'intérêt personnel de chacun et la recherche de profit personnel l’emporta sur la prise de conscience du territoire qui a été inscrit. Les aberrations se sont alors multipliées : des sols quasiment morts dus à l’utilisation de produit phytosanitaire ou encore des chais vitrines dénaturant le paysage. Pour le restaurateur, il existe une incohérence entre les lois qui surprotègent les différents bâtiments du bourg et l’absence de prise de conscience face à des éléments paysagers qui construisent leur cadre. Aucune loi n’interdit la destruction des haies, de la forêt ou d’un arbre au profit de parcelles de vignes par exemple. François traduit cela comme un refus d’engagement vis a vis du label qui selon lui donne des droit mais surtout des devoirs, qui ne sont pas remplis. Pour lui, des initiatives personnelles ou ponctuelles ne peuvent pas solutionner le problème seule les administrations le peuvent. Pour le restaurateur c’est clair, la juridiction ne mérite plus le label.
>Nostalgie d’une diversité paysagère perdue et souvenirs entachés
François fait le constat que ce paysage de monoculture viticole le rend très mal à l’aise. Pour lui la richesse d’un paysage se trouve dans sa diversité et il nous rappelle que la juridiction était autrefois occupée par un mélange de prairies et de cultures vivrières qui cohabitaient avec la vigne mais aussi de la forêt et des bosquets. Il reste aujourd’hui des traces ponctuelles de cette époque paysagères et ces lieux correspondent aux endroits où François aime se rendre. Le château Coutets ou le Berliquet en font partie. C’est une sorte de nostalgie de la diversité des paysages qui se sont vu coloniser petit à petit par la vigne.
>Le choix de sa photo : une agression dans le paysage
C’est assez spontanément, que François nous indique que la photo qu’il aimerait prendre regrouperait un chai vitrine et un château racheté par un chinois, tous deux se faisant face de part et d’autre d’une combe à Saint Christophe des Bardes. Selon lui cette photo illustre parfaitement l’absence d’autorité en matière de paysage sur la juridiction. Cette absence ce traduit par la naissance d’ ”aberrations”. Essentiellement créé par des personnes externes ces chais prennent la place d’un belvédère et s’imposent dans le paysage. Aucune réflexion n’est menée sur son intégration. L’architecture s’impose comme identité visuelle. Le paysage est dénaturé de manière à ce que les visiteurs du chai aient leur propre poste d’observation. Ce comportement extrême s’oppose avec le chai d’en face racheté par un vietnamien qui fait tout pour s’intégrer et à une forte volonté de ne pas dénaturer ou de trancher dans le paysage.

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