Histoire du vignoble - Rencontre avec Serge Briffaud - 11 dèc 2015
- vendangeursdevues
- 11 déc. 2015
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L’analyse paysagère du site de la juridiction est un élément essentiel à maitriser pour se lancer pleinement dans le processus de médiation du C9-B dont l’objectif final du 18 janvier 2016 se dessine peu à peu. Dans ce contexte, la rencontre et les explications fournies par Serge en cette journée du 11 Décembre 2015 sont capitales et pourront fournir pourquoi pas une partie du rendu final du 18 janvier. Ce retour fait état et synthétise les explications de Serge. L’historique du vignoble, le retour sur l’inscription et une analyse paysagère sont autant de thèmes abordés et seront accompagnés d’illustrations.
>Histoire du vignoble de Saint Emilion : la mutation récente vers la monoculture
Le bourg de Saint Emilion dont les lignes des toits, du clocher et de l’abbatiale se découpent dans le ciel, représente le côté emblématique de Saint Emilion. Cette idée d’emblème est fortement renforcée par la présence des clos venant fermer les parcelles viticoles à proximité du bourg. Mais d’où viennent ces clos ? Il faut remonter au Moyen Age pour le comprendre. A l’époque, seulement deux noyaux viticoles existaient sur la juridiction et ses alentours. Un premier noyau gravitait à proximité immédiate du bourg de Saint Emilion. Ce noyau était une viticulture ecclésiastique, Saint Emilion étant à l’époque une ville profondément religieuse. Au nord-ouest, un second noyau était présent à la limite de la juridiction. En concurrence direct avec Saint Emilion, ce noyau viticole était seigneurial et s’étendait vers Figeac et Pomerol.
Jusqu’au 18ème siècle, les seules traces de viticultures étaient ces deux noyaux concurrents. Cependant, des stratégies de commercialisation et de négociation du vin se mettent en place. De nombreux châteaux du Saint Emilionais furent précurseurs dans cette logique de commerce du vin. En 1904, l’invention de la mise en bouteille au château à lieu sur la propriété du Château Bel Air tandis que le château Fombrauge développe dans la seconde moitié du 18ème siècle un important pôle de développement agronomique et œnologique. Cette logique entraine et modification considérable du paysage. Le vignoble se tourne vers un vin de haute qualité et vers des exploitations à grande valeur foncière. Le vignoble commence alors à avoir sa propre logique de développement se coupant du reste du territoire et le colonisant peu à peu.
Mais avant la vigne il y avait quoi ? En dehors de ces deux noyaux viticoles évoqués précédemment, la polyculture est omniprésente sur le territoire de la juridiction. Des vergers s’associent aux prairies et aux céréales. Un système de co- plantation existait alors. Appelé localement « jouale » sur le territoire girondin, ces systèmes paysagers ont aujourd’hui totalement disparus face à la montée de la vigne. En effet il existe un défaut de compatibilité entre le vignoble produisant des vins de plus en plus qualitatif (exportable) et la polyculture, notamment l’élevage qui vient divaguer sur les parcelles. C’est pourquoi au cours du 18 e siècle on construit ce paysage de clos pour protéger ce vignoble de haute qualité.
Aujourd'hui Saint-Emilion détient le record mondial de l’occupation du sol par la vigne (80%). Cela parait difficile à croire mais ce paysage de monoculture est excessivement récent dans l’histoire des paysages de la juridiction. Ce n’est qu’au 20ème siècle qu’on assiste à une véritable « colonisation » de la vigne mettant radicalement fin à la polyculture. Ce changement brutal à heurter la mémoire collective et à laisser des traces dans la culture locale, une culture qui jusqu’alors était essentiellement paysanne. L’esprit paysan était omniprésent et subsiste encore aujourd’hui. La structure agraire témoigne de cette logique avec des exploitations de petite surface contrairement aux Médoc. La moyenne d’hectare par exploitation était encore relativement peu élevée il y a 10 ans. 4 hectares en moyenne contre 7 aujourd’hui.
Au départ, le développement de la viticulture commerciale rassemble cette structure paysanne et créé une solidarité à travers les 8 communes de la juridiction. Cette solidarité est renforcée par la création du syndicat viticole et d’une coopérative (aujourd’hui union des producteurs) qui elle est créée en 1932. Ces organisme ont pour mission d’encourager les petit producteurs une quantité du vin suffisamment importante pour que l’appellation «Saint Emilion » soit commercialisable à grande échelle. Pour cela le syndicat met à disposition des œnologues, des moyens techniques et financier auprès des paysans pour qu’ils se développent. Cette « mémoire » collective structure et créé du lien à travers la juridiction. Cependant depuis quelques années les nouveaux arrivants agissent sur le territoire en ignorant cette histoire collective.
>Retour sur l’inscription, penser le paysage comme un bien commun
C’est dans ce contexte que va se faire l’inscription de la juridiction au patrimoine mondial de l’UNESCO. Et cette inscription ne va pas se faire du premier coup mais en deux étapes. La première tentative est en 1993. Lorsque l’UNESCO créée l’inscription au titre de ‘paysage culturel’, l’Etat français se tourne vers les vignobles français et à la surprise de constater qu’aucun vignoble ne souhaite se présenter. Finalement, les politiques commencent à y réfléchir à Saint Emilion mais c’est malheureusement un projet qui tombe à côté de la notion de paysage en proposant de mettre en valeur le patrimoine bâti se limitant au bourg de Saint Emilion en considérant la vigne comme un écrin, un zone tampon de l’inscription. Naturellement le projet tombe à l’eau d’autant plus que les habitant et les viticulteurs ne s’y intéresse que très peu et n’y voit pas l’opportunité de mettre en valeur leur territoire.
L’inscription fait de nouveau parler d’elle en 1999, lorsque Mr Bonnefon, à l’époque maire de Saint Sulpice et Faleyrens et à la tête du SIVOM (syndicat intercommunal à vocation multiple) comprend que l’inscription de la juridiction peut faire émerger aux habitant la notion de bien commun et justifier la communauté de commune qui regroupe à l’époques les communes de la juridiction. Les volontés sont assez ambitieuses pour l’époque et Mn Bonnefon comprend que la ville de Saint Emilion, mais aussi la vigne et les autres communes qui l’entourent forme un tout, un bien commun. Cette notion de communauté se heurte aux viticulteurs qui se voient là « privé de sa propriété ». Une incompréhension vis-à-vis de ce projet se répand auprès des viticulteurs, eux qui ont pendant si longtemps sculpté et administré le territoire pendant si longtemps par leurs propres moyens.
La Labellisation de l’UNESCO et les valeurs universelles qui en découlent ce sont donc basé sur un tout, un lien entre l’architecture et l’environnement proche. A cela, se rajoute la notion de processus historique complexe qui a conduit à cette exceptionnalité. Ces processus, ce sont des experts venus de l’extérieur qui les ont repérés. La notion d’exceptionnalité est encore très présente aujourd’hui mais elle peut aussi créer un repli sur soi, un peu à l’image des clos voulant protéger cette vigne hautement qualitative, se différencier de l’extérieur et de l’espace commun. Il existe aujourd’hui des tensions lié à la contradiction de préserver le bien commun (le paysage) et le souci de préservé son bien personnel.
Sans le vouloir le château Coutets s’inscrit parfaitement aujourd’hui dans cette dynamique de bien commun en y incorporant la notion d’écologie et de biodiversité. A départ ce château tenu par une famille paysanne, de petits bosquets étaient préservés pour la chasse et le propriétaire laisser vieillir ces serments de vignes par mesure d’économie. Aujourd’hui les bosquets sont devenus des réservoirs de biodiversité et le château a décidé d’être entièrement bio. Ce château sert d’exemple et certains acteurs politique ont voulu détourné la notion de bien commun vers une notion plus écologisante. Une vaste campagne de plantation de haies bocagère s’en suit alors mais ce fut un échec car l’évènement fut beaucoup trop médiatisé d’une part et certains viticulteurs se refusaient à limiter l’utilisation de leur produit phytosanitaire d’autre part. La notion de bien commun et donc prise en compte par quelques-uns mais pas par la majorité.
>Analyse paysagère du territoire laboratoire et de la juridiction
A première vue, la vigne demeure omniprésente sur ce paysage. De cette monotonie en découle un manque évident de diversité. La paysage est fortement marqué pat la densité de bâti disséminé un peu partout. Le bâti que nous voyons est généralement dispersé mais aggloméré, cela correspond plus à des fermes qu’à des châteaux. Sur Saint-Emilion il y a peu de château à proprement parlé, c’est pour cela que l’on trouve peu de magnifique demeure. Ces dernières sont à distinguer en deux catégories, les châteaux dits imposant, remarquables dans le paysage tel le château Laroque à Saint Christophe, et les demeure plus modeste se faisant oublier comme Rochebonne à Saint Laurent de Combes entre autre.
Une autre catégorie de chai se fait remarquer au niveau de la combe de Saint Christophe des Bardes. Des chais très modernes prennent la place des belvédères sur le paysage. On assiste alors à une privatisation des points de vue. Le paysage est donné à voir auprès des visiteurs du chai. De plus en plus de chai s’impose avec une architecture identitaire qui ne s’intègre pas forcément à l’environnement qui l’entoure. Ces chais appartiennent les plus souvent à des propriétaires venus de l’extérieur qui veulent imposer leur individualité (notion d’architecture individualiste). C’est en quelque sorte une reconquête capitaliste du vignoble paysan en déclin.
Les demeures sont souvent accompagnées d’arbres ornementaux qui gravitent tout autour (cèdre, pins). Ces arbres très visibles créés des marqueurs paysagers, des points de repère dans cette étendue de monoculture. La place de l’arbre est très restreinte, peu d’arbre isolé peuple ce paysage viticole dit « nu ». La présence d’arbres isolés n’en est que plus remarquable du fait de leur rareté. En exemple, les 3 chênes verts des pendus veillant sur la combe de Saint Emilion. Cette impression de paysage lunaire est toutefois à nuancer car depuis, on assiste au réensemencement des entre rang de vignes. Pour en revenir à l’arbre un cordon boisé marque fortement le territoire laboratoire. Correspondant à la rupture de pente entre la pleine et le coteau. Cette espace trop « ingrat » pour y accueillir de la vigne à su préserver son côté boisé renforçant une diversité dans ce paysage de monoculture. Cette diversité, la labellisation UNESCO s’en est emparée n’hésitant pas à qualifier ce cordon boisé de « ceinture méditerranéenne » à préserver. Ce cordon boisé n’est pas le seul vestige de la diversité de la polyculture des edifice tels que les moulins prêts de Saint Christophe des Combes témoignent eux aussi d’activités passées liés à l’exploitation de céréales.
Le sols intimement lié au gout du vin est omniprésent sur ce territoire et montre une riche diversité. Ne serait-ce que sur le territoire laboratoire, on peut passer du calcaire au sable en quelques instants. On peut noter que plusieurs carrières d’extraction de pierre sont présentes sur le site, certaines sont même reconverties en caves viticoles. Un autre exemple curieux de reconversion de carrière se situe sur la commune de Saint Hyppolyte. Les grottes de Ferrand servent pendant plusieurs années de décors au château du même nom, chacune de ces grottes est associée à un belvédère. C’est l’un des premiers exemples de mise en valeurs des paysages de la juridiction. L’exemple le plus flagrant aujourd’hui de mise en valeur du paysage par un jeu de cadrage est celui du jardin du château Laroque à Saint Christophe des Bardes.
Il est intéressant de se pencher et d’observer les différentes mutations de parcs aux abords des châteaux. Autrefois l’ensemble des domaines de la juridiction étai régis par un système dit « à la bordelaise » qui fut d’ailleurs diffusé à travers le monde. Aujourd’hui on observe un nombre conséquent de cyprès prêt des demeures. Ce phénomène de « toscnaisation » correspond à l’époque où de grandes entreprises avaient rachetées les vignobles en toscane. Ils ont réinterprétés le paysage toscan en plantant les cyprès. Plus tard ce modèle s’est importé dans plusieurs vignobles dont St Emilion.
Un particularité de notre paysage laboratoire est à relever. La portion de juridiction choisie comporte deux châteaux possédant une très grande surface d’exploitation de la vigne par rapport à la moyenne de la juridiction qui nous le rappelons est de 7 hectares. Ces deux châteaux ce sont Ferrand et Trolong Mondot. Ces deux édifices occupe un large espace et repousse par conséquent autour d’eux la présence d’autres bâtisses créant un vide autour d’eau. Cela se voit nettement sur le plateau de Saint Hyppolite couvert des vignes du château Ferrand.
Nous remarquons aussi que la juridiction et le territoire laboratoire connait une forte relation avec les horizons. Que ce soit sur les coteaux ou dans la plaine un dialogue se crée avec l’environnement alentour que ce soit avec les coteaux opposés de la Dordogne toute proche ou avec les hauteurs du village de Montagne plus aux Nord. Ces horizons créent une sorte de mise en scène des paysages de la juridiction et contextualisent les 8 communes dans le territoire géographique girondin.
>De la référence à l’homogénéisation, les différents classements des vins de St Emilion:
Comme nous l’évoquions précédemment, les sols de la juridiction ne sont pas uniformes et possèdent une très grande hétérogénéité. Sable, grave, calcaire, argile autant de sols qui créent des gouts différents de vins. Face à cette grande complexité. On a décidé que la norme du goût reposerait sur deux châteaux, deux archétypes du goût de la juridiction de Saint Emilion.
Le premier est le château Ausone, placé sur un plateau calcaire le vin qu’il produit est assez charpenté. Le second c’est le château de cheval Blanc, placé sur un sol différent, le vin qui y est produit est immédiatement plaisant en bouche. Ces deux château sont alors nommé Grand cru classé A car ils correspondent selon les expert à la parfaite identité œnologique de la juridiction de Saint Emilion. Le système de notation est alors basé sur l’imitation de ces deux archétypes. Les autres châteaux devant atteindre des arums et une structure du vin extrêmement proche de ces deux références pour pouvoir prétendre au classement. On ne remet normalement pas en question le classement des Grands crus classé A, les grands classé B eux sont ce qui se rapprochent le plus des deux archétypes, s’en suit les grand cru classé et la notion de Saint Emilion. Personne ne remettra en cause ce classement qui fonctionne et qui, contrairement au Médoc, est renouvelé tous les 10 ans.
Cependant, il y a 10 ans, ce système se voit bouleversé par un scandale. Le jury est truqué et les châteaux Troplong Mondot et Pavis se retrouvent dans le classement A et serviront désormais d’exemple pour les classements à venir. Sachant que Trolong Mondot possède près de 35 hectares cela bouleverserait le modèle de la juridiction et entrainerait de trop forte concurrence. Certain s’en moque d’autre voit d’un très mauvaise œil l’arrivée de ces château en haut du classement. En effet le château Pavis est associé avec l’œnologue assez contesté Parker qui valorise les vins qui doivent plaire au plus grand nombre et qui mise sur l’homogénéisation. Ce qui va bouleverser les critères de classement et va remettre en cause l’identité œnologique même de la juridiction. Un comité lutte encore contre ces prises de décisions.
Le vignoble de Saint-Emilion tend de plus en plus à un vignoble de financier avec une logique de marque où les gestionnaires sont souvent des maîtres de chais. Les propriétaires eux sont souvent absents et ne vivent pas sur la juridiction. Ces évolutions se sont opérées dans un pas de temps très court d’une quinzaine d’année. Ceci n’est pas forcement négatif mais il faut réussir à faire ressortir un projet viticole commun avec tous ces gens différents. C’est à nous de trouver une forme de rendu fédérateur qui rassemblera ces gens complètement disparates autour de l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. Regrouper cette communauté viticole autour d’un projet commun, car les logiques de terroir appliquées aujourd’hui sont déstructurées. Il faudrait redonner aux habitants un territoire d’appartenance ou du moins leur rappeler ; c’est une notion de reterritorialisation.
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